Mon Île, Melpo Axioti

Publié le par Mary B.

 

Cette chronique est dédiée à Voula et son mari Panagiotis. Je leur promets que bientôt, je leur traduirai et leur lirai ce texte, chez eux, à Mykonos.

Elle l'est aussi à Benoît.

 

Tout le panorama de la ville s'était déployé. Les maisons sur la jetée avec les caïques amarrés devant elles voguaient dans cette lumière qui avait une autre mesure, comme si elle était une lanterne magique ouvrant les horizons pour que l'homme s'enfonce plus profondément.

 

Aujourd'hui 05 avril je devais m'envoler pour Mykonos, Cyclades, Mer Égée, Grèce.

Il fallait partir tôt : avant que les Mykoniates du continent ne regagnent leur île pour les fêtes de Pâques, et avant l'été, pour échapper au tourisme de masse.

Je savais que le meltem soufflerait, mais je voulais le meltem dans mes cheveux, à terre, et sur les bateaux qui devaient ensuite m'amener à Paros, Naxos, Délos. Je voulais des navigations houleuses sur une mer agitée.

 

Depuis le monde s'est arrêté : un fil à la patte et plus aucun avion pour s'évader.

Mais il reste les voyages immobiles et Melpo Axioti.

 

Melpo Axioiti est un écrivain grec du XXe siècle, originaire de Mykonos. Militante communiste, elle fut chassée de son pays par la dictature des colonels et ne revint en Grèce qu'après de nombreuses années d'exil.

 

Dans Mon Île, elle décrit ce que les circonstances politiques l'ont forcée à abandonner : le paradis perdu insulaire et ses habitants, proches de cette Grèce éternelle archaïsante qui habite l'imaginaire collectif. Plus loin un autre était assis par terre, devant une roue en bois qui tournait sans cesse, et fabriquait des pots. Il actionnait le tour avec son pied nu et pétrissait la terre rougeâtre pour lui donner la forme que ses mains avaient décidé de façonner. Une couleur bâtarde qui tirait sur l'orange,[...]de même que les mains de l'artisan et son pied nu se confondaient avec les poteries que ces mains modelaient.

 

Les échoppes comme les artisans semblent figés dans une éternité qui est celle de l'hellénisme de toujours, avec des ateliers de potiers plus vieux que le temps.

Le roman est structuré comme une promenade dans Mykonos et comme une série de portraits : l'ivrogne, le fou, les femmes.  Quand il n'y a pas trop de vent, sur le haut balcon soutenu par des colonnes et donnant sur la plage de l'île en forme de croissant de lune, sont assises en rang quatre générations de femmes, le regard fixé sur le large.

 

En Grèce, il faut observer les regards des habitants des îles, qui semblent toujours se perdre vers l'horizon. Ils sont assis face à la mer, écrasés de chaleur et de lumière, déchirés surtout entre l'envie d'un ailleurs pour fuir l'enfermement de l'insularité et l'attachement à leur terre dont ils savent qu'elle ne peut être égalée par aucun ailleurs.

 

Kadmo, la narratrice, exilée en Pologne puis en Allemagne de l'Est comme le fut Melpo Axioti, le sait bien : rien ne saurait remplacer l'île si étroite, si limitée, si arriérée fût-elle. Les descriptions de Mykonos et de son peuple sont entrecoupées par des citations de documents officiels historiques sur Mykonos qui disent les guerres et les invasions Hier l'Amiral, monsieur Giorgios Andritzos, est arrivé ici avec divers navires de Spetses et nous a annoncé que le 24 de ce mois, entre Chios et Mytilène, a eu lieu un combat naval opposant la flotte égyptienne à la nôtre et le récit de l'expérience de l'exil raconté par Kadmo, dans une superposition de temporalités et de supports qui rappellent les collages surréalistes, courant dont Melpo Axioti était proche.

La séparation avec l'île natale est nécessairement vécue comme un trauma, lié à la guerre et à l'oppression des opposants pour des raisons idéologiques : Comment Kadmo le saurait-elle. Puisqu'elle habite hors des frontières des Grèce. Elle vit dans des contrées où le soleil est la chose la plus chère du monde. Lorsqu'il se montre c'est un disque de feu, suspendu comme épinglé dans le ciel au-dessus d'un tapis de cendres. Les gens tiennent leurs enfants prêts pour les sortir, comme un pot de fleurs sur l'appui d'une fenêtre, dès qu'ils voient la sphère rouge.

 

Tout le roman est travaillé par cette douleur du retour, que les Grecs d'autrefois appelaient nostalgie.

Les habitants et lieux qu'elle décrit, Nikolaos le fou ou L'Éponge, le vieil ivrogne, les églises et le port qui reçoit et installe les breloques de Venise ne semblent faire que l'attendre, de même que le ciel, démesurément bleu.

 

Mary B.

 

Nom de l'auteur : Melpo Axioti

Titre de l'œuvre : Mon Île, traduit du grec par Lucile Arnoux-Farnoux

Édition : Cambourakis

ISBN : 978-2-36624-419-9

Prix : 10 euros

 

 

 

 

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